La surpopulation carcérale

Extrait des statistiques de l’Administration pénitentiaire de janvier 2021

Plusieurs tribunes sont parues récemment pour dénoncer la surpopulation carcérale et ses effets pervers. Depuis notre fenêtre de visiteurs de prison, nous qui rencontrons chaque semaine plusieurs milliers de détenus, la surpopulation carcérale est effectivement un enjeu majeur, mais pas seulement à cause des conditions matérielles, raisons les plus souvent invoquées.

De fait, au moins autant que les conditions matérielles, deux autres fléaux font bien souvent de la vie carcérale une expérience délétère : les conditions d’accès aux services de base et l’oisiveté 

Vu de l’extérieur, on a peine à l’imaginer, mais les conditions d’accès aux services de base (médicaux, sociaux, de communication etc..) n’ont rien à voir avec celles de la vie « civile ».
Dans la vie courante, si vous avez besoin de voir un médecin, vous demandez un rendez-vous et vous présentez au cabinet le jour dit.
En prison, vous écrivez pour demander un rendez-vous vous attendez… un jour, une semaine, ou un mois et quelque temps plus tard, un surveillant vous donnera (probablement) une réponse. Il en est de même pour tous les actes qui dépassent le cadre strict de la vie matérielle quotidienne : obtenir une copie de sa carte d’identité, demander à participer à une activité, ou bien encore demander à travailler. Un détenu n’a jamais d’accusé de réception, ni de délai, ni d’engagement d’aucune sorte de la part de ses interlocuteurs. Tout cela pourrait paraître anecdotique, mais ne l’est pas du tout : ce que l’on apprend en détention, passé le choc carcéral, c’est à subir, et qui plus est, ce qui est souvent perçu comme arbitraire, puisque les décisions sont rarement motivées, et qu’en tout état de cause, les recours sont soit inexistants, soit très complexes. De fait, la vie en détention est trop souvent un apprentissage de la passivité et de la soumission face à des décisions qui viennent ou ne viennent pas et dont on peine à comprendre autant la justification que les rouages.

Un autre fléau gangrène la vie carcérale : l’oisiveté.
Les activités proposées sont dans la plupart des prisons restreintes tant en qualité qu’en quantité. La plupart comportent des listes d’attente, donc des délais qui peuvent se chiffrer en mois, voire plus. Le travail est chroniquement en pénurie, malgré des rémunérations divisées par 3 ou 4 par rapport à l’extérieur. Soulignons aussi qu’il y a très peu d’ordinateurs pour les détenus, et en tout état de cause, aucun accès à internet. De sorte que bon nombre de détenus, surtout dans les maisons d’arrêt, passent le plus clair de leur temps à regarder la télévision ou lire des revues. Pas une excellente préparation à la sortie… Or s’il y a bien une caractéristique positive de la vie carcérale qui contraste avec le monde extérieur, c’est justement qu’on a le temps… beaucoup de temps. Il est regrettable que ce temps soit trop souvent gaspillé au lieu d’être investi en apprentissages qui pourraient permettre d’appréhender la sortie dans des conditions plus favorables.

Ce qui est préoccupant, et dont a de la peine à se rendre compte vu de l’extérieur, c’est que tout cela génère une sorte de sous-culture de la soumission, qui va exactement à rebours du travail de préparation à la sortie et de prévention de la récidive qu’a entrepris l’Administration Pénitentiaire depuis longtemps. Car tout n’est pas sombre dans cet univers et n’oublions pas que l’Administration fait des efforts significatifs pour limiter les risques de récidive. Ainsi, ces conseillers des Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation, dont le nombre a récemment été augmenté, ont précisément pour rôle de prévenir la récidive en s’efforçant de préparer les sorties, et d’éviter le plus possible ce que l’on appelle les « sorties sèches ». Ils sont malheureusement en nombre insuffisant, mais ils sont par contre aidés dans leur mission par le système des réductions de peine qui incite les détenus à participer à des activités ou à travailler pour espérer sortir plus tôt. Enfin il convient de saluer la grande réussite de l’expérimentation des Modules « Respect » qui permettent aux détenus ayant un comportement exemplaire d’accéder à des conditions de vie nettement améliorées. Ce dernier dispositif, qui amène une vie quotidienne nettement plus stimulante à un petit nombre de détenus, a un impact significatif, non seulement sur les détenus concernés, mais aussi sur nombre d’autres qui y voient un espoir palpable d’une vie meilleure à court terme.

Globalement, l’Administration Pénitentiaire est ainsi prise dans une contradiction permanente entre d’un côté des conditions de vie qui engendrent des comportements de soumission passive peu propices à la réinsertion et de l’autre un effort significatif pour essayer d’améliorer la préparation à la sortie et de prévenir la récidive. Or le choc de la liberté est souvent aussi violent que le choc carcéral : à une phase de vie hors du temps où tous les aspects matériels de la vie sont pris en charge, succède brutalement une étape cruciale où l’initiative, le dynamisme et la capacité à se projeter deviennent critiques.

La surpopulation carcérale a pour effet d’aggraver considérablement cette situation et les tensions qui en résultent. D’où la nécessité de promouvoir, entre les SPIP et les magistrats, l’adoption de méthodes de travail qui permettent de moins recourir à la prison, surtout à la préventive massivement utilisée en France, et faire beaucoup plus appel aux peines alternatives nettement plus efficaces pour la réinsertion. Moins de détenus, c’est aussi plus de travail, plus d’activités proposées et plus d’accompagnement à la réinsertion. C’est aussi, pour le personnel d’encadrement et de surveillance des prisons, plus de temps à consacrer au contact avec les personnes détenues, pour que le temps passé entre les murs contribue à la réinsertion dans la société.  

Georges Loss, visiteur au centre pénitentiaire d’Aix-Luynes (13) et administrateur de l’ANVP

Un commentaire sur “La surpopulation carcérale

  1. Le propos de Georges est exact mais, me semblet-il, pour les maisons d’arrêt plutôt que dans les CD où les conditions de vie sont d’une part plus souples ( cellule ouvertes, accès aux douches et plus de possibilités de formation et de travail. C’est la situation des MA qui accueillent des innocents sur le plan judiciaires qui offrent les conditions les plus sévères et les plus délétères. Prévues en un temps où les délais de jugement étaient beaucoup plus courts et les emprisonnement beaucpoup moins fréquents lles ne jouent pas leur rôles. Or ce qui devrait être étudié au délà de l’évolution du décompte des détenus ce sont les durées médianes, moyennes en MA y compris pour les condammés les attentes de transfert. A luynes nous pouvons renconter des « prévenus » pendant 5 à 6 ans ! Il faut rapidement changer le fonctionnement interne des MA : accès au téléphone, activités de bons niveaux et variées, obligation d’entretien régulier avec les détenus sur les difficultés de leur vie, obligation de réponse motivée pour l’administration, conseil de representant des détenus…Les pistes ne manquent pas y compris le caractère obligatoire d’activités ou de travail comme à l’espérience MA4 d’Aix-Luynes évoquée par Georges. En bref, cessons de parler de la prison en genéral ! Philippe Lhermet.

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