Etre juré à une cour d’assises est une expérience qui marque. Voici le témoignage d’une personne de Dijon à qui c’est arrivé.

Cette semaine restera parmi les plus marquantes de ma vie. Je l’ai passée comme juré à la Cour d’Assises de la Côte d’Or, pour juger un homme accusé d’une double tentative d’assassinat.
Lorsque l’on est tiré au sort pour être juré, la première réaction est de penser aux bouleversements de votre agenda qui en résulte. Pendant une semaine, soudainement, vous êtes contraint de mettre votre vie professionnelle entre parenthèses.
Aujourd’hui, je mesure que c’est une très grande chance, tant l’expérience est enrichissante, captivante, saisissante…
Saisissante car, en assisses, les affaires évoquées touchent forcément les problématiques profondes de notre société, les violences conjugales dans le cas d’espèce. A travers les faits et les vies que l’on passe au crible, se côtoient le meilleur, les actes de soutien, d’humanité, mais aussi le plus violent, le plus sordide et le plus abject.
Saisissante car, être juré c’est observer de l’intérieur le fonctionnement concret de la justice dans notre pays. Et j’ai changé d’avis. Honnêtement, je ne m’attendais pas à cela. Car, malgré des conditions matérielles déplorables (locaux vétustes, logiciel dépassé, sono souffreteuse, visioconférence datant de l’ORTF…), la justice fonctionne et plutôt bien. Avec l’aide précieuse et le professionnalisme des magistrats et de tous les auxiliaires de la justice, nous avons consacré 5 jours et plus de 30 heures de débats à décortiquer minutieusement les faits et les personnalités des personnes impliquées dans ce dossier complexe.

Au fil des jours, se sont succédé à la barre les témoins de la scène de crime, les pompiers secouristes, les gendarmes, les enquêteurs criminels, les experts médicaux, psychologiques, psychiatriques, balistiques, les témoins des parties civiles et ceux de l’accusé. Un travail en profondeur, objectif et ouvert aux contradictions. Saisissante car un procès d’assises est une construction subtile avec une gradation enchaînant exposés, témoignages, plaidoyers, réquisitoire, délibéré.
Saisissante car les choses sont tout sauf simples, que rien n’est jamais tout noir ou tout blanc, que les vies, les personnalités, les situations, les enchaînements de faits, les motivations des actes sont complexes. Saisissante car la session fut jalonnée de moments forts, émouvants, dramatiques, drôles quelquefois, tendus souvent, allant jusqu’à des menaces de mort en salle d’audience.
Saisissant de passer 5 jours en huis clos avec 8 autres jurés et 3 magistrats que vous ne connaissez pas. Des femmes et des hommes de profils et d’univers très différents, mais rapidement rapprochés par cette expérience humaine unique.
Saisissante car, à l’heure du jugement, au moment de voter sur la culpabilité et la peine à infliger, au moment de décider de la vie d’un homme, il n’y a plus d’évidences. On est bien loin de la série télé ou de la rubrique des faits divers. Intention homicide ou non ? Préméditation ou non ? Altération ou abolition du discernement ? Les frontières sont souvent ténues, et pourtant les conséquences en termes d’années de prison sont sans commune mesure. La justice doit-elle être impitoyable pour se prémunir de la dangerosité d’un homme ou doit-elle encore entretenir son espoir de quitter un jour l’univers carcéral ? Quelle est la peine qui est la plus adaptée pour l’accusé, pour ses victimes, pour la société ? Où se place l’équilibre entre la sanction indispensable, la réinsertion espérée, la protection des victimes et de la société. La balance de la justice… Au moment de voter sur les 16 questions soumises aux jurés et qui détaillent ces problématiques, on est face à sa conscience, à son « intime conviction ».
Pas simple.
Une expérience inoubliable.
Merci à Paul Marconot, ancien président de l’ANVP, pour nous avoir transmis ce témoignage.
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