Dans les maisons d’arrêt, et notamment celles surpeuplées d’avant la covid-19, ce sont environ 15% des détenus qui ont accès à une activité pérenne, en étant « auxi », en travaillant à l’entretien ou en cuisine, ou en suivant les cours dispensés par l’Education Nationale. Les autres, après souvent des mois d’attente, peuvent ponctuellement participer à des activités socio-culturelles. Pour une grande majorité des personnes détenues, la réalité de l’incarcération c’est un enfermement 22 heures par jour. Le détenu dans les conditions habituelles de détention ne peut prendre aucune initiative.

(photo : JC Hanché / CGLPL)
Par cette fiche nous souhaitons expliquer ce qu’est le module de respect (MDR) et faire un retour d’expériences de visiteurs ayant bénévolement participé au fonctionnement des modules de respect de Villepinte (93), en y animant des ateliers.
Pour la résumer en quelques mots, la philosophie du module de respect est de rendre le détenu acteur de sa détention tout en donnant du sens au métier de surveillant.
C’est en Espagne en 2001, suite aux préconisations d’une psychologue et d’un éducateur, les « modulos de respecto » ont été mis au point dans le but de donner plus d’autonomie à une partie des personnes placées en détention. L’expérimentation a démarré dans l’établissement de Mansilla de Las Mulas. Compte tenu des résultats positifs de ce programme, celui-ci a rapidement été étendu à tous les établissements pénitentiaires du pays, avec pour effet positif, une baisse très significative des tensions entre détenus et surveillants. Ce programme avait sept objectifs principaux : diminuer les violences, apaiser le climat en détention, mettre en place des règles interpersonnelles, redonner du sens au métier de surveillant, modifier les comportements en matière d’hygiène, rendre le détenu plus responsable, intégrer le surveillant dans une équipe pluridisciplinaire.
Suite aux résultats positifs en Espagne, en France le ministère de la justice décide en 2015 d’implanter un module de respect à Mont-de-Marsan, maison d’arrêt de taille moyenne, puis au centre de détention de Neuvic. L’expérimentation est ensuite étendue à d’autres lieux de détention : en juin 2019, 37 établissements ont un MDR, en 2020 environ 45.
La maison d’arrêt de Villepinte, établissement conçu pour 576 places il y a 27 ans, a connu une surpopulation record en 2019 avec 1154 détenus soit un taux d’occupation de plus de 205%. Le démarrage du module de respect (septembre 2016) se fait à l’initiative de deux femmes hors du commun, Léa Poplin alors la plus jeune directrice d’un établissement pénitentiaire en France et de Marie-Rolande Martins directrice du SPIP du département de Seine-Saint-Denis. Le pari est de taille, car c’est la première fois qu’un MDR est mis en place dans une maison d’arrêt de plus de 1000 détenus entachée d’une image très négative parmi les lieux de détention français. Il a d’abord fallu convaincre les délégués syndicaux, hostiles au projet. Un voyage d’étude les a conduits en Espagne puis à Mont-de-Marsan pour qu’ils puissent se faire leur propre opinion. Après qu’ils aient donné leur accord, l’expérimentation a pu commencer. Une aile de la maison d’arrêt a été réservée au MDR afin d’y accueillir 180 détenus en cellule double.
Pour être accepté au module de respect, la démarche est volontaire et ouverte à (presque) tous. Toute personne détenue peut en faire la demande, qu’elle soit prévenue, condamnée à une peine légère ou plus lourde, sans condition d’âge ni d’origine. La seule obligation est de ne pas avoir fait l’objet d’un incident disciplinaire dans les trois mois précédant la demande. Cependant, certains profils en sont exclus d’office tels que les détenus particulièrement signalés (DPS), ceux souffrant de troubles mentaux et ceux considérés comme « radicalisés ».
S’engage pour le détenu volontaire un parcours de sélection : il doit rédiger une lettre de motivation et avoir un entretien avec son CPIP (Conseiller Pénitentiaire d’Insertion et de Probation) avant que son dossier soit examiné et validé en commission pluridisciplinaire. Mais la liste d’attente peut être assez longue.
Le MDR a pour principe la contractualisation des obligations du détenu et des engagements de la direction. Dans un environnement où les détenus sont pratiquement privés de toute initiative, c’est un élément intéressant. Un contrat est signé par le détenu d’une part et par la direction d’autre part. Le détenu s’engage à respecter les consignes strictes suivantes : observer le règlement intérieur du MDR en toutes circonstances, se conformer aux ordres donnés par les surveillants, renoncer définitivement à la violence sous toutes ses formes, orales (menaces, insultes, intimidations..) comme physiques (agressions..), respecter la tranquillité des autres (ni bruits ni cris de jour comme de nuit), respecter les biens de l’administration et le matériel des activités, renoncer à l’importation, au trafic ou à la possession d’objets (téléphone, clé informatique..) et de substances interdites (drogues, alcools), observer le rythme de vie du MDR et réintégrer sa cellule aux heures prescrites, participer (nous y reviendrons) à (si possible) 25 heures d’activités par semaine incluant la participation bénévole aux instances de gestion du MDR, se soumettre aux évaluations régulières de son attitude et de son investissement, accepter d ‘être en cellule double et ne jamais refuser un codétenu.
« Le régime ‘Respect’ ce sont surtout des obligations et des évaluations », déclare Christophe Loy, directeur à Beauvais. Il se matérialise « par une sorte de permis à points » (article OIP/SF 2017). A Villepinte (mais aussi à Mont-de-Marsan, Beauvais ou Liancourt), « le détenu part de zéro : chaque bonne action peut lui valoir un point, chaque mauvaise lui en faire perdre un. Si le compteur tombe à -3, à -5 ou à -10 (selon les établissements), c’est le recadrage ou l’exclusion, qui vaut retour au régime « portes fermées ». (OIP/SF).
En contrepartie de ces réelles contraintes, ce sont « des portes ouvertes. Des détenus qui ont la clé de leur cellule et peuvent se rendre visite, aller à leur guise en cours de promenade, en salles d’activités, aux cabines téléphoniques… » (article revue « Dedans-Dehors » de l’OIP-SF, 2017).
La vie quotidienne d’un détenu du module est la suivante : le détenu doit se lever à 7h30, nettoyer sa cellule avec le codétenu, participer à l’entretien de l’aile du module de respect. L’accès au terrain de sport et aux douches est libre. Chacun participe aux ateliers auxquels il s’est préalablement inscrit. Des commissions existent – accueil, hygiène, conflits, activités – auxquelles participent des détenus et des surveillants du module, des CPIP, et pour les activités, certains bénévoles. Les détenus comme les surveillants du module peuvent proposer des ateliers, ce qui les valorise vis à vis d’eux-mêmes et vis à vis des collègues. Un atelier « mythologie » a ainsi été animé par le surveillant qui l’a proposé et un atelier de langue étrangère par le détenu qui en a pris l’initiative.
A Villepinte, lors du démarrage de l’expérimentation en 2016, certains ateliers sont obligatoires (Respect de la loi, Construction de l’image de soi, Valeurs de la République) d’autres sont optionnels (Education canine, atelier potager, Sécurité routière, atelier d’écriture..), animés par des associations, ou par des visiteurs intervenant à titre bénévole. Avec le temps et un budget fortement en baisse, l’obligation des 25 heures d’activités/semaine pour un détenu, est restée un objectif à atteindre, mais jamais atteint, malgré la bonne volonté des uns et des autres.
A la maison d’arrêt de Villepinte, les ateliers optionnels proposés et animés par des visiteuses et visiteurs de prison ANVP ont été les suivants (entre 2016 et 2019) :
- Atelier jeux de société (pour un groupe de 12 détenus) : apprentissage des règles et respect de celles-ci, savoir ne pas tricher.
- Atelier coaching relationnel et création d’entreprise (groupe de 6 détenus) : pour ceux ayant un projet de création d’entreprise à la sortie. Des conseils précieux et le développement de la confiance en soi. Du « sur-mesure » pour chaque détenu de cet atelier.
- Atelier « Comment réussir son entretien d’embauche » (groupe de 6 détenus) : jeux de rôle pour rappeler la nécessité de préparer son entretien, d’arriver à l’heure, de soigner sa présentation, de trouver les termes positifs pour se présenter etc..
- Atelier sur le fonctionnement du cerveau, animé par un visiteur chercheur en neurosciences.
- Atelier « Journal interne », journal entièrement conçu et réalisé par un groupe de 6 à 8 détenus. L’atelier est animé par une journaliste professionnelle intervenant bénévolement en binôme avec une visiteuse.
Selon les cas, pour s’adapter aux besoins des détenus et à la disponibilité des animateurs, ces ateliers peuvent être hebdomadaires, bi-mensuels, ou mensuels. En 2019, les ateliers animés par des visiteurs bénévoles ont touché au total 340 personnes détenues.
A la prison de la Santé, la mise en place d’un module « Confiance » pour une centaine de détenus, a commencé dès 2019, l’année d’ouverture. La montée en charge est progressive.
Qu’en pensent les visiteurs bénévoles qui interviennent dans le module ? S’il peut sembler déroutant la première fois de se retrouver au milieu de détenus sans qu’un surveillant soit présent ou visible, cette impression est vite oubliée. On se sent vite à l’aise devant l’absence de violence verbale, la politesse et une réelle bienveillance (et reconnaissance) envers ceux qui viennent animer les ateliers. Il y a cependant des aspects frustrants : quand les participants à un atelier ne sont pas tous présents (appelés à une autre activité ou à un parloir famille), s’ils ne s’inscrivent pas dans la durée (un atelier peut demander plusieurs séances), ne correspondent pas du tout au profil demandé, ne sont pas motivés, etc.
Et l’équipe de surveillants dédiée au module MDR ? Les visiteurs ont souvent recueilli les confidences de l’équipe, un gradé et cinq surveillants, lesquels disent tous : « Enfin nous pouvons faire notre métier et pas uniquement ouvrir et fermer des portes, nous pouvons travailler dans le calme, sans la crainte permanente d’une agression, nous pouvons écouter, discuter avec les détenus – nous pensons leur être utile. »
Et les détenus, qu’en pensent-ils ? Certains y sont très favorables, car échapper à l’enfermement 22 heures par jour est un réel avantage. D’autres refusent d’aller au module de respect (ou le quittent), devant les fouilles et les nombreux contrôles et devant l’impossibilité d’être en possession d’un portable ou de drogue. Au moindre écart, ils savent qu’ils devront quitter le bâtiment qui accueille le module. Selon la directrice de Villepinte déjà citée « C’est tolérance zéro. Un seul (téléphone portable) trouvé dans une cellule et tous les compagnons de cellule sont exclus. » Certains estiment aussi que ce régime est infantilisant avec son système de « bons et mauvais points ».
Le ministère de la justice a publié une analyse de deux modules, celui de Mont de Marsan et celui de Neuvic : « Les modules de respect, un nouvel ordre carcéral » par Christophe et Jacques Faget de l’association Gerico. Cette étude fait un point précis sur les MDR, avantages et inconvénients en distinguant le régime « Respecto » du régime « Restricto ». Elle évoque une réelle contre-culture. Dans les établissements classiques les détenus sont « plongés dans un univers de violence et de peur, sont privés de toute initiative et assujettis à un ordre formellement intransigeant qui aggrave l’image déjà détériorée qu’ils ont d’eux-mêmes et érode leur habileté sociale ». Il n’existe pas un modèle mais plusieurs modèles de MDR en fonction des établissements, des équipes en place, cependant que les MDR partagent des objectifs globalement identiques.
« La responsabilisation du détenu est à 70% source de non-récidive et en tout cas source de moins de tension pour les collègues du MDR. »
Selon cette étude, le MDR est apprécié par les surveillants, les autres finissant par être jaloux de ceux-ci. « Le porte-clefs s’est mué en surveillant éducateur ou en surveillant animateur ; il est celui qui impose la règle mais qui l’explique aussi. »
Pour nous visiteurs bénévoles intervenant dans ce module, le climat apaisé est une évidence, pas de hurlements, ni de bagarres, ce qui permet à des détenus plus fragiles par leur âge ou leur condition physique, d’échapper à un univers de violence.
Dans les MDR on peut considérer qu’une sorte de « contrat de confiance » est passé entre la direction et le détenu, lequel devient plus responsable de ses actes. La remise de la clef de la cellule est vécue comme un grand moment – on lui fait confiance et c’est déjà un changement de regard sur la détention.
Extrait de l’étude précitée ci-dessus, nous citerons un détenu qui tient des propos dithyrambiques sur le MDR et dit qu’il faut le généraliser à toutes les prisons. Pour lui c’est un outil de prévention de la récidive : « Enfin les droits de l’Homme sont entrés dans les prisons ! La détention classique c’est l’école de la récidive, l’école du crime. »
Il faut cependant moduler ces appréciations positives des MDR par d’autres avis, celui de l’OIP/SF déjà citée, celui d’une étude publiée par la DAP et celui du CGLPL.
L’étude de deux sociologues publiée par la DAP (2019) fait état de cinq obstacles à l’ambition du MDR de donner plus de sens à la détention : « Les biais de la sélection, puis la superficialité des effets psychologiques produits, la mise en oeuvre erratique du principe contractuel, l’existence de malentendus sur le sens du module entre l’administration et les détenus, et enfin les difficultés de juxtaposer dans un même établissement, des bâtiments qui appliquent le MDR et d’autres qui obéissent à un fonctionnement normal. »
Adeline Hazan (CGLPL pour la période 2014-2020) déclare (rapport 2017) que le module de respect est plus efficace dans les maisons d’arrêt que dans les centres de détention. Le quota d’activités proposé au détenu n’est en réalité pas respecté faute de budget. Le système de bonus/malus est à revoir. Dans sa synthèse, elle indique : « Les expérimentations observées ont établi que le régime de respect autoproduit de l’ordre en maison d’arrêt. Il devrait être étendu en tant que régime de base au sein des maisons d’arrêt, l’affectation en régime fermé devenant une exception dûment motivée (incidents graves, décision du juge d instruction…). »
En tant que bénévoles participant au fonctionnement du module de respect, la proposition de la Contrôleur Générale, semble particulièrement judicieuse : Respecto pour le plus grand nombre, Restricto pour une minorité.
Yves Racovski et Dominique Luccioni, visiteurs de l’ANVP
Septembre 2020
Bibliographie :
Rapport du CGLPL du 12 Décembre 2017, Journal Officiel du 14 Mars 2018