Le port obligatoire du masque au parloir constitue indiscutablement une gêne. Et s’il recélait aussi une opportunité, celle du regard ?

La mise en place des règles sanitaires – distanciation, port du masque, séparation avec panneau de plexiglas – pourraient entraver le bon déroulement de nos entretiens en face à face.
C’est avec un peu d’appréhension que j’ai repris les visites à la fin du confinement. Appréhension car c’était avec une nouvelle personne et dans des conditions matérielles différentes. Je ressentais une vraie gêne et un manque important dans les échanges. Il me manquait une partie importante dans notre échange, toute la partie basse du visage, la bouche et tout ce qui va avec : sourires, grimaces, articulation des mots, mouvements des lèvres ou pas… Mince, cela va se relever plus compliqué qu’avant pour échanger !
A ma surprise, l’entretien s’est bien passé. Pour la personne visitée pour qui c’était la première visite depuis 6 mois de quelqu’un, autre que l’AP, a dit au surveillant « j’ai pas vu le temps passer. Pourtant je suis claustrophobe (parloir de 1.5*3m), pas de cigarette ni de Ventoline ! ».
Depuis plusieurs visites, j’essayais d’être attentif à ce que je peux faire de différent d’avant ces contraintes, masque et panneau plexiglas. Parce qu’au-delà du masque il y le regard, les yeux et tout ce qui va avec. Le regard peut en dire long sur nos pensées, nos attitudes. En recherchant sur le sujet, j’ai trouvé énormément d’adjectifs associés (voir l’encadré, qui propose une liste non exhaustive).
Ce que j’ai perçu dans ces regards, c’est qu’il est important de s’y attarder, de prendre le temps de rester « dedans ». Derrière ces yeux, quelles sont les émotions qui demandent à émerger ou pas ? Et de manière plus simple, accompagner ce regard ; par exemple, quand il part vers le bas, partir avec lui et revenir ensemble vers le haut. Etre présent à l’instant. Sur des moments statiques, tourner légèrement notre regard de côté pour « ouvrir » un peu la situation. Et comme dans les silences, rester dans ces regards en face à face où un « clin d’œil » fera repartir la parole.
Notre regard peut être sourire, fermé, froncé, brillant, terne et en même temps il peut être reflet comme une parole qui accueille, il peut être fermé pour laisser le temps aux mots, aux émotions de se dire ou pas. Finalement peu de différences avec la parole et ses silences. Il faut seulement s’arrêter un peu plus longtemps pour regarder ce que ces yeux ont à nous dire. Offrir un regard partagé, chacun à sa place, comme un prolongement des mots pour ouvrir, si possible bien sûr, cet espace de parole. Une phrase qui résonne pour moi « le regard de l’autre est un immense soutien dans votre cheminement personnel ».[1]
Cela me renvoie à un entretien il y a de quelques années, où j’ai accompagné de longs mois une personne très dépendante de drogues, à qui ne restait que quelques chicots en guise de dents, à faire peur. Lors de notre dernier entretien avant sa libération, j’ai vu pour la première fois son regard d’un bleu intense, profond qui irradiait son visage, jamais je ne l’avais perçu comme cela. Cela met une claque d’être passé à côté en s’arrêtant à ce qui fait obstacle, alors qu’il y avait dans son regard tout un monde de richesses à découvrir.
Nos entretiens avec les personnes détenues sont d’une richesse extraordinaire quand on prend le temps de « les regarder » et de voir ce qui se construit en apportant un peu de cette humanité qui fait parfois défaut dans notre société.
Yves-Marie Brient, vice-président de l’ANVP
Quelques qualificatifs pour un regard Amical, amoureux, amusé, avide, attentif, bovin, candide, confiant, craintif, curieux, dédaigneux, ébloui, éperdu, étonné, fier, fourbe, franc, froid, gai, gourmand, hautain, honnête, impertinent, innocent, inquiet, ironique, mélancolique, pensif, railleur, rieur, sévère, songeur, sournois, surpris, timide, tranquille, triste, regard plein d’amour, d’admiration. Regard de colère, de compassion, de dédain, de défi, de mépris, de pitié, de regret, de satisfaction, de … |
[1] Dorian Vallet « Le regard de l’autre – ami ou ennemi ? »