1/ Audition de Stéphane BREDIN, directeur de l’administration pénitentiaire

Situation sanitaire dans les établissements pénitentiaires et les SPIP :
A ce jour, le COVID19 a causé 2 décès : 1 surveillant (Orléans Saran) et 1 détenu (Fresnes).
65 personnels ont été testés positifs ainsi que 34 détenus. La forte limitation des mouvements à l’intérieur des prisons, le confinement dans des cellules dédiées (voire des quartiers dédiés) pour les détenus suspectés d’être positifs, et ceux malades et soignés sur place, la présence d’une antenne médicale dans chaque établissement semblent avoir permis, à ce jour, de limiter la propagation du virus.
Toutes les activités (= regroupant des détenus) en milieu carcéral, y compris cultes et sports, ont été supprimées à l’exception d’ateliers pour la fabrication de masques.
Masques :
Port de masques à partir du 29 mars par tous les personnels en contact avec des détenus (+ des intervenants en nombre très réduit et les détenus « auxiliaires » participant aux fonctionnement interne des lieux de détention).
Des ateliers (dans 8 puis 10 lieux de détention) sont mobilisés pour la fabrication de masques : 6 000 masques fabriqués/jour à mi-avril, réutilisables 10 à 20 fois. L’administration pénitentiaire pourrait devenir autosuffisante pour ses besoins. Mais pas de masques prévus pour les détenus.
Fouilles :
Priorité donnée aux contrôles électroniques. Si nécessaire, des fouilles par palpation peuvent avoir lieu, de dos, par un agent et en présence d’un autre agent, tous deux étant porteurs de masques et de gants.
Situation sécuritaire :
Plusieurs mouvements collectifs (= refus de réintégrer les cellules après les promenades) ont eu lieu en fin de 1ère semaine du confinement (weekend 21-22 mars) après l’annonce de la suppression des parloirs. Un début de mutinerie à Uzerche (Corrèze) et dans un centre en Guyane. Les mesures très vite prises par l’administration pénitentiaire ont calmé le jeu. Mais on ne peut préjuger de l’avenir.
Mesures mises en place pendant la durée du confinement :
Crédit téléphonique de 40 euros/détenu/mois, TV gratuite, aide aux « indigents » passée de 20 à 40 euros/mois (cela concerne au total près de 37 000 personnes), possibilité pour proches et avocats de laisser aux détenus des messages téléphoniques sur un n° dédié.
Ordonnance du 25 mars :
Elle accorde à des condamnés des perspectives de sortie exceptionnelles, et pour certains en fin de peine (si reliquat <2mois) une possibilité d’assignation à résidence.
Evolution de la population carcérale :
Au 13 avril, il reste 62 650 détenus après la sortie de 9 923 détenus (dont 3 335 prévenus), soit une diminution de près de 10 000 détenus depuis le début de la crise sanitaire. Un double phénomène explique cette baisse : la forte augmentation des sorties et la forte diminution des entrées. En conséquence, le taux d’occupation au 15 avril est réduit à 103% pour l’ensemble des lieux de détention et à 116% pour les maisons d’arrêt (au lieu de 140%). Depuis la pandémie, on est ainsi passé de 215 à 80 nouveaux écrous/jour, et de 209 à 404 sorties/jour.
Détenus radicalisés (plusieurs questions de députés à ce sujet) :
sur 130 éventuellement « libérables » (fin de peine inférieure ou égale à 3 mois), 11 seulement ont bénéficié de mesures de libération anticipée, 2 comme assignés à résidence, 9 par légère anticipation de leur date fin de peine.
2/ Audition de Jimmy DELLISTE, directeur de la prison de Fresnes

A Fresnes, la population pénale se compose de 29% de prévenus et 71% de condamnés.
Un dispositif anti Covid19 a été mis en place après le décès (17 février) d’un détenu âgé (récemment arrivé) et le fait qu’une infirmière ait été testée positive . La configuration des lieux (110 petites cours de promenade) permet de réguler mouvements et promenades avec des groupes de détenus toujours identiques. Mise en quatorzaine systématique de tous les entrants. Un quartier pour 25 personnes a été dédié aux malades. En conséquence, au 15 avril, la lutte sanitaire contre la pandémie semble maîtrisée. Par ailleurs, très peu d’incidents constatés.
Conséquence des aménagements de peines : au « grand quartier », sortie de 321 personnes sur un total de 1 890 détenus début mars, et 1 569 aujourd’hui. Par jour, en moyenne, sortie de 20 détenus et entrée de 5 personnes.
Il n’y a plus de cellule pour 3 détenus et 400 personnes sont en cellules individuelles.
Fresnes est le dernier établissement français de détention en attente d’une profonde rénovation, prévue sur plusieurs années.
Difficulté des douches collectives pour les détenus (à raison de 3 douches par semaine), peu nombreuses dans l’établissement et obsolètes. Désinfection plusieurs fois par jour.
Comme dans d’autres lieux de détention, il était prévu (avant la pandémie) d’installer des cabines téléphoniques dans les cellules. Sans doute décalé.
A noter que Fresnes est spécialisée dans l’évaluation de la radicalisation.
3/ Audition d’Adeline HAZAN, contrôleure générale des lieux de privation de liberté
Mme Hazan note au total, 69 cas de covid-19 à ce jour dans les lieux de détention.

Au 1er mars 2020, la situation est la suivante : au total, 7 575 détenus pour 55 000 places utilisables (mais encore 1 500 matelas par terre), dont en maisons d’arrêt, 48 284 détenus pour 34 973 places opérationnelles, soit encore 13 700 détenus en surnombre. Ainsi près de 10 000 détenus ont été libérés mais dit-elle : « Je souhaite qu’on aille plus loin » et a demandé le 17 mars à la Garde des sceaux qu’on arrive enfin à un encellulement individuel dans les maisons d’arrêt ce qui supposerait la libération supplémentaire de 3 000 ou 4 000 détenus. Cela pourrait concerner des détenus auxquels il reste non pas moins de 2 mais moins de 6 mois de peine. Elle rappelle que l’objectif (fixé en 1875) reste bien d’un seul détenu par cellule.
Elle souligne que des cellules « dortoirs » (6 à 8 détenus/cellule) existent encore dans certains lieux de détention (MA de Coutances et de Cherbourg).
Le Covid19 a permis une « régulation » et une baisse sensible du nombre de détenus enfermés. Mais attention que l’inflation ne reparte pas une fois la pandémie stoppée !
Jusqu’au 29 mars, les personnels n’avaient pas de protection (masques, gants)…
Ateliers de fabrication de masques : on demande à des détenus de fabriquer des masques alors qu’ils n’en ont pas pour eux-mêmes !
70% des détenus présentent aujourd’hui des troubles psychologiques ou psychiques du fait de la pandémie. Elle rappelle que l’accès aux soins psychiatriques dans les lieux de détention, déjà très insuffisant habituellement, l’est encore plus depuis le début de la pandémie.
Les mesures prises depuis le confinement, arrivées un peu tard, sont très insuffisantes pour des détenus enfermés 23h/24 et qui supportent une triple peine : l’enfermement, le risque d’attraper le covid-19 et la suppression de toutes les activités et contacts. On aurait pu permettre des parloirs par Skype avec les familles (comme cela a été expérimenté à Villepinte).
Elle demande, depuis 6 ans, que des téléphones portables contrôlés et écoutés, avec des n° d’appels seulement à des personnes autorisées, soient remis aux détenus. Un accès à un numérique sécurisé (internet) serait une grande amélioration.
Les peines alternatives à l’incarcération sont insuffisantes, notamment le port de bracelet électronique : pas assez de personnel pour suivre l’installation des boîtiers au domicile des détenus concernés. C’est un frein à son développement.
Elle note la situation très inquiétante des centres de rétention (notamment ceux de Paris-Vincennes et de Mesnil Amelot) et a demandé la fermeture de tous ces centres du fait du covid-19. En effet, on ne peut plus reconduire aux frontières (qui sont fermées) et on peut les garder 90 jours en rétention. « C’est absurde » dit-elle.
Il faut « donner la priorité au droit à la santé et au droit à la vie, y compris dans le milieu carcéral, sinon les détenus ne sont pas considérés comme de véritables citoyens. »
« Prenons le seuil de 6 mois et faisons sortir tous les détenus à qui il reste 6 mois de peine. »
En conclusion, « Certains magistrats ont encore une culture de l’incarcération comme si l’incarcération n’était que la reine des sanctions (…) Ce n’est pas parce qu’une peine n’est pas incarcérée en prison, qu’elle n’existe plus (…) Le choix n’est pas entre liberté totale et prison. Il est entre : 1/La liberté totale 2/Tout ce que le législateur a prévu pour des sanctions sans incarcération 3/ La prison. »
CR établi par Dominique Luccioni, correspondante ANVP à Paris la Santé et VP à la MA de Villepinte