894 mineurs détenus au 1er juillet 2019

Des visiteurs de la Maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan témoignent.

Le nombre de mineurs incarcérés ne cesse d’augmenter. Les visiteurs de la maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan sont allés à leur rencontre. Après bien des démarches, ils ont réussi à trouver le biais pour les approcher et ouvrir un dialogue avec eux.

La facade d'entree de la Maison d'arret de Gradignan.
La façade d’entrée de la Maison d’arrêt de Gradignan. Photo : Sebastien Ortola — S. ORTOLA / 20 MINUTES

Place à leur témoignage.

Bernard :

Etre en présence pour la première fois d’un jeune et s’apercevoir qu’il ne sait pratiquement ni lire ni écrire n’est pas chose facile.
Lire ‘le Dormeur du Val’ à deux jeunes et les sentir attentifs et touchés constitue un souvenir marquant et une belle récompense.

Partie de Uno : N. tire une carte. Il n’arrive pas à dissimuler sa joie. Il regarde successivement tous les joueurs. Il fait son choix. Il m’adresse un grand sourire, c’est moi qu’il choisit. J’hérite donc d’un gage 10 pompes ! Je vais donc payer de ma personne, mais je sais qu’à la fin je pourrai lui lire l’histoire de Haw-Ki le faucon. Et comme la semaine dernière il va m’écouter sans broncher, passionné. Il ne parle pas le français, que va-t-il comprendre de l’histoire ?

Chantal :

Chaque atelier est différent des précédents.
Se présenter comme des personnes bienveillantes et bénévoles qui ne gagnent pas d’argent en venant jouer avec eux ; quand ils l’ont compris, ils nous accordent leur confiance et se détendent.
J’apprends à ouvrir mon cœur à ces jeunes, à accepter ces adolescents qui veulent être des petits caïds, j’apprends à écouter ces jeunes bien différents de nos milieux familiaux, et bien sûr ne pas les juger.
Avoir toujours plus de tolérance et d’acceptation de l’autre dans ses particularités et différences.
Finalement, ils m’apportent beaucoup !

Dominique :

Ce qui frappe c’est que les jeunes arrivent assez excités ou au contraire renfrognés mais qu’ils se détendent, s’ouvrent et se calment. Ils cessent de parler entre eux ou de faire de la provocation. Au début, nous n’avions pas saisi l’importance de les empêcher de parler à la fenêtre et de crier avec les autres. Puis, on a su les éloigner des fenêtres et passer à autre chose. Ils rentrent dans le jeu et sont très polis. On n’a jamais eu à hausser le ton pour « faire de la discipline ».
On voit aussi l’intérêt de tous les jeux avec les adultes, par exemple quand ils nous imposent des gages ou quand ils gagnent (leur plaisir de ce petit retournement). La plupart s’impliquent et trouvent que le temps passe trop vite. Evidemment le fait de jouer avec des règles qu’on explique et qu’on respecte est très intéressant. Il y a beaucoup de socialisation en jeu, ce qui s’acquiert en l’occurrence avec humour. Je me souviens d’une séance au cours de laquelle j’ai justement totalement manqué d’humour et où les relations sont devenues cassantes. C’était une expérience intéressante quoique éprouvante. Cela ne s’est pas reproduit. Le fait d’être deux est très favorable (des deux côtés) car on trouve plus facilement des compromis et diversions.
J’ai bien aimé quand des échanges sont possibles et qu’ils racontent un peu leur histoire, leurs soucis, leurs projets.
On voit aussi qu’ils acceptent des relations avec d’autres jeunes, même s’ils se replient sur eux-mêmes le reste du temps.
Je regrette que l’administration ait tendance à ne sélectionner que des jeunes migrants isolés qui ne parlent pas français. J’ai apprécié les séances avec des jeunes plus mélangés et qui parlaient un peu français (ou bien qui parlaient une langue que je connais comme l’espagnol). C’est aussi stimulant pour les autres.
Trois est un nombre idéal et j’apprécie qu’on soit assez nombreux pour qu’un des adultes ne joue pas tout le temps et puisse être en tiers. Cela favorise le fait qu’ils jouent ensemble et qu’on puisse éventuellement parler ou qu’on joue en étant nombreux, ce qui est très dynamique.
Il y a eu des moments de grande gaieté où l’on oublie complètement la prison et où ils redeviennent des enfants. Dans les gages, j’ai souvent fait chanter et chanté moi-même. C’était parfois très émouvant, quand, par exemple, un petit dur a chanté une berceuse dans sa langue maternelle. Les chansons permettent de retrouver cette langue, cette enfance parfois, ou une culture qui leur manque, voire de révéler un réel talent et toute une soif de vivre.

Beate :

J’ai commencé les visites en janvier 2018 avec un jeune en visite individuelle, mais toujours avec le support « jeu de société ». Le plaisir que j’ai eu quand j’ai constaté les progrès du jeune. Au début, au « puissance 4 », je gagnais facilement car il n’avait pas compris la stratégie, mais très vite, il m’a battu plusieurs fois. Je ne fais pas exprès de perdre pour lui faire plaisir, je trouve que jouer sérieux c’est les respecter.
J’ai 2 garçons qui ont à peu près le même âge que les jeunes détenus, je me sens comme une « maman bienveillante » à leur égard. J’ai toujours eu le sentiment que le fait de jouer avec des adultes qui ne les jugent pas leur plaît bien. Je n’ai vécu qu’une seule fois qu’un jeune n’avait vraiment pas envie de jouer et l’a fait savoir – mais en arabe de façon à ce que nous ne comprenions pas mais le ton y était. La plupart du temps, l’atelier jeux se passe dans une bonne ambiance.

Colette :

Ressenti après deux visites auprès d’un jeune : mineur très attachant, dont on découvre très vite les failles, les souffrances, et la naïveté. Impression qu’il s’agit vraiment d’un enfant. Comment tenir à l‘écart l’excès d’affect pour rester à l’écoute, lui permettre de reprendre pied dans la réalité tout en respectant un équilibre, une égalité respectueuse dans la relation?…. Ne pas le «commander» et ne pas se faire commander…

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